Prier tous ensemble pour la guérison de l’humanité
À toutes les périodes de l’histoire, l’humanité a pensé qu’elle vivait des temps particulièrement troublés. Il ne faut donc pas juger trop vite que notre époque est exceptionnellement dramatique. Néanmoins, peut-être n’est-ce pas sans raison que nous sommes tentés d’estimer que l’urgence du temps présent est spécialement grave.
Jamais la planète Terre n’a été aussi malmenée par l’homme. Jamais les sources mêmes de la vie humaine n’ont été autant menacées qu’elles le sont aujourd’hui par la contraception généralisée, la stérilisation fréquente, qu’elle soit volontaire ou imposée, par l’avortement banalisé. Même l’art de soigner la vie humaine et, si possible, de la guérir quand elle est amoindrie, est devenu aussi, en certaines régions, l’art de la supprimer, en toute impunité.
Jamais, du moins en Occident, la famille, cellule fondamentale de la société, n’a été à ce point sapée juridiquement et culturellement par des législations irresponsables, rendant le divorce accessible en un tournemain et mettant sur le même pied que le mariage des unions qui ne peuvent en aucun cas mériter ce nom.
À côté de splendides réalisations sur le plan social, telles que les législations protégeant le travail et organisant la solidarité dans les soins de santé, et de tant d’autres formes de soutien aux personnes les plus menacées, nous assistons à la recrudescence d’un capitalisme sauvage et sans pitié et constatons avec angoisse l’impuissance de la politique face au triomphe de la spéculation boursière et financière. Le surendettement coupable de tant d’États nous place tous au bord d’un gouffre monétaire, financier, puis économique, qui risque d’engloutir les plus démunis.
Pendant ce temps-là, des millions d’hommes et de femmes, de jeunes en particulier, se laissent asservir par l’alcool, la drogue et la pornographie, trois marchés scandaleusement plantureux, savamment organisés par des marchands d’illusions. Sans oublier l’abêtissement généralisé de populations entières par une musique sans cœur, sans mélodie, sans signification, se réduisant à une rythmique primaire autant que bruyante. Le vide de l’âme, devenu abyssal, tente désespérément de se combler dans une immense fuite en avant, débouchant plus souvent qu’à son tour dans le suicide.
Même la quête de spiritualité, en soi louable, se fourvoie trop souvent dans des mystiques impersonnelles, dans un divin brumeux, où se dissout la splendeur personnelle de l’âme humaine. On y perd la perle rare de sa vie, mais sans la retrouver, pour autant, dans une vérité d’un plus grand prix.
En dépit d’un œcuménisme porteur d’espérance, mêmes les Églises chrétiennes occidentales ont souvent perdu leur âme. Le sel s’est affadi et l’on ne voit plus avec quel gadget on pourrait lui rendre sa saveur. On a ouvert tant de portes et de fenêtres, par souci d’une ouverture sans consistance, que le parfum de l’Évangile s’est tout simplement dissipé. La sainte Tradition des Apôtres de Jésus a été dilapidée au profit d’idéologies sans avenir. La liturgie s’est aplatie au point que nombres d’assemblées, au gré de dérisoires fantaisies cléricales, célèbrent leur propre médiocrité plutôt que la gloire de Dieu et du Christ. Selon le mot terrible de Jésus, les perles ont été jetées aux pourceaux et des chrétiens abusés piétinent sans le savoir les trésors pour lesquels les martyrs ont versé leur sang.
Et pourtant, là où nous assaillent cent raisons de désespérer, nous trouvons auprès de Jésus ressuscité mille raisons d’espérer plus que jamais. Lui qui a tout porté de la dureté de l’existence humaine, lui qui a traversé toutes nos impasses, y compris la mort, par sa bienheureuse résurrection, il nous crie: «Ne crains pas, je suis le Premier et le Dernier, le Vivant; je fus mort, et me voici vivant pour les siècles des siècles, détenant la clef de la Mort et du séjour des morts» (Ap 1,17-18). Il connaît nos épreuves et il nous murmure au cœur: «Dans le monde, vous aurez à souffrir. Mais gardez courage! Moi, j’ai bel et bien vaincu le monde» (cf Jn 16,33). Et avant de nous quitter le jour de l’Ascension, mais sans nous laisser orphelins pour autant, il nous a rassurés: «Et voici que je suis avec vous pour toujours, jusqu’à la fin des temps» (Mt 28,20.)
Jésus abandonnerait-il maintenant l’humanité à son sort? Jamais de la vie! Lui qui, durant sa vie terrestre, a guéri tant de malades et réconcilié tant de pécheurs, lui qui a affirmé à de multiples reprises que toute prière faite avec persévérance, dans la foi, serait finalement exaucée, n’entendrait-il pas nos supplications pour la guérison de l’humanité? À coup sûr, il les entend et veut les exaucer. Nous ne crions pas vers lui pour le rendre sensible à notre détresse. Son cœur transpercé est infiniment plus vulnérable que le nôtre! Nous ne prions pas pour l’informer de nos misères. Il les connaît mieux que nous et les a portées avant nous dans sa détresse à l’agonie et sur la croix, abandonné des hommes et même, apparemment, de Dieu son Père… Et s’il nous demande de prier longtemps, avec endurance, ce n’est pas parce qu’il serait devenu sourd au fil des siècles. C’est parce que nous, pauvres incrédules, nous avons besoin de temps, de beaucoup de temps, pour enfin croire à la toute-puissance de la prière. «Car le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre?» (Lc 18,8).
Et si Marie elle-même apparaît à l’humanité si souvent depuis près de deux siècles, si elle nous parle avec tant de persévérance, avec une telle obstination maternelle, et si elle insiste inlassablement sur l’importance vitale de la prière, ce n’est pas parce qu’elle s’ennuie là-haut et serait devenue bavarde ou radoteuse par désœuvrement céleste; c’est parce qu’elle est engagée à fond dans le combat du Christ et de l’Église contre le Dragon (cf. Ap 12) et veut nous entraîner puissamment dans son immense intercession pour le salut du monde.
Alors, oui, prions avec ardeur et une totale confiance pour notre conversion et la guérison de toute l’humanité! Nous ne serons pas déçus! Car «tout ce que vous demandez dans la prière, croyez que vous l’avez déjà reçu, et cela vous sera accordé» (Mc 11,24 et tant d’autres passages: Mt 7,7-11 / 18,19 / 21,22; Lc 18,6-8; Jn 11,42 / 15,7 / 16,14).
Mgr André Léonard,
Archevêque de Malines-Bruxelles,