Paris, France, Mardi 14 Mai 2019

Sabrina : Père Michel Guimbaud, nous sommes ici à Paris dans la maison-mère des Capucins de la province de France et vous êtes revenu il y a une semaine, passer quelques examens médicaux avant de repartir pour le Tchad. Racontez-nous. Qui est le père Michel Guimbaud? Comment et pourquoi êtes-vous devenu religieux capucin? Racontez-nous votre aventure avec l’Afrique.

Père Michel : Je suis originaire de la région d’Anger, mais par la suite, ma famille est partie à La Rochelle, puis à Ligugé, à côté du monastère des Bénédictins. C’est amusant, car j’ai passé sept ans de mon adolescence, jusqu’à l’âge de 17 ans, à fréquenter le monastère des Bénédictins de Ligugé et quand j’ai été appelé à la vie consacrée, je n’ai pensé à aucun moment à être Bénédictin. Pourtant, j’étais toujours fourré chez eux pour les offices que j’aimais beaucoup. J’ai découvert les Capucins en Vendée. J’en connaissais plusieurs, qui étaient d’ailleurs en mission au Tchad et en Centre-Afrique.

Je ne me suis jamais fait religieux pour être missionnaire, mais pour me consacrer au Seigneur.

Une fois que j’ai fait mes vœux en 1953, le Provincial m’a dit «Mais qu’est-ce que vous attendez pour partir en mission?!» Je lui dis: «Si vous pensez que j’en suis capable, pourquoi pas?». Il était quand même nécessaire de faire mes vœux définitifs, qu’on appelait à l’époque les «vœux solennels». J’ai dû attendre, car j’ai fait le service militaire au Maroc – déjà l’Afrique et j’ai donc été, le 25 Août 1957, à Moundou au Tchad, découvrant un univers tout à fait ignoré de moi… Et j’y suis depuis cette époque. Cela va faire 62 ans. J’espère y mourir, si Dieu me le permet, mais c’est lui qui en décidera. Pour l’instant, je suis en France. Je n’avais pas prévu d’y revenir mais il m’a rappelé pour quelque temps. Que dire de plus ? J’ai été missionnaire pendant 40 ans.

Maintenant, je suis membre de la communauté des Capucins Tchad-Centrafrique, cela s’appelle la Custodie. Je suis membre d’une communauté Africaine.

Sabrina : Qu’est-ce que cela a représenté pour vous d’être missionnaire? Que signifiait «être missionnaire au Tchad» il y a 60 ans?

Père Michel : On était tous des Capucins, originaires de la province de Toulouse. Les Capucins ont été chassés d’Éthiopie en 1936. Ils ont remplacé les Spiritains qui ont démarré l’Église au Tchad en 1929, pas avant. En 1938, les Capucins sont revenus à Berberati, en Centre-Afrique et à Doba au Tchad. Doba est à 100 km de Moundou et on a développé progressivement l’Église à travers ces réalités.

Le peuple Ngambai et Sara à Moundou est un peuple qui est venu très facilement à la foi, très précisément à la foi chrétienne.

Il y a une grosse communauté de Mission Évangélique, il y a nous, qui sommes une forte communauté catholique. Maintenant l’Islam commence à prendre le dessus, venant un peu du Nord. Pour l’instant ils ne commettent pas d’actes comme au Burkina Faso. Nous avons d’excellents rapports. Moi je suis arrivé là sans rien connaître. C’est une communauté de frères qui m’a accueilli. Je n’étais pas encore prêtre, j’étais menuisier de métier.

Huit jours après mon arrivée, j’ai dirigé un atelier de 15 ouvriers où j’ai beaucoup appris moi-même. Je connaissais mon métier, mais diriger c’est autre chose. J’ai tout appris sur place. J’avais 26 ans. Maintenant ce serait plus difficile.

Quand je quittais l’atelier pour aller à table, il fallait que je porte mon habit. La rigueur de l’époque ! Maintenant, je ne le porte plus. Après la fin du repas, on allait à l’église d’à côté pour les grâces. On avait quand même une vie de prière. C’était important, je pense.

C’est ce que j’ai apprécié quand je suis arrivé : cette fidélité dans les activités importantes des missions.

Les pères avaient des secteurs énormes à couvrir: fonder des communautés, célébrer les eucharisties, animer les communautés… Et moi je ne savais rien. Je devais simplement prier et connaître Saint François. C’est déjà pas mal, mais ce n’est pas suffisant quand on est là-bas. Et au bout de deux ans, j’ai demandé un arrêt pour pouvoir me former un peu.

J’étais complètement démuni quand je me trouvais en face de groupes communautaires, car je ne pouvais rien apporter. Et là, j’ai eu de la chance, car le Père Loew a mis en route l’École de la Foi à Fribourg et j’ai fait partie du premier groupe, en 1969-1971.

On s’est retrouvé à 30-35 religieux, hommes et femmes, qui se trouvaient un peu dans la même situation. Autrefois, c’était la formation de l’Ordre de la Connaissance de la Règleet des Constitutions. Cela se basait beaucoup sur l’Ancien et le Nouveau Testament. Puis, je suis reparti au Tchad pendant trois ans, et là, j’ai animé les travailleurs dans les communautés chrétiennes, tout en assurant de la menuiserie et en formant des catéchistes…

Sabrina : Donc vous avez pendant 12 ans été missionnaire, sans être prêtre?

Père Michel : Oui, 19 ans même ! J’avais la capacité d’animer des communautés, j’avais reçu quelque chose, et c’est là qu’on m’a dit: «Mais pourquoi tu n’envisages pas le sacerdoce?». Et ce sont mes frères qui m’ont un peu poussé. Je suis reparti à Fribourg, et là pendant deux ans j’ai fréquenté une université. J’ai été ordonné prêtre le 25 mars 1976. C’est important, parce que c’est la fête de Marie! Puis, je suis reparti au Tchad et j’y suis resté comme prêtre. J’ai tenu la paroisse pendant 17 ans avec une grosse population.

Le premier évêque de Moundou est devenu émérite, partagé entre deux villes et puis un autre père canadien et des sœurs: une espagnole qui s’appelait Marie-Ange, une sœur galloise qui, attention, n’était pas anglaise! C’est important ! Et une sœur française.

Nous partagions beaucoup. Toutes les semaines, nous faisions le point sur la pastorale.

C’est curieux, mais mon sacerdoce a démarré autour de la prostitution. Michelle, une ancienne prostituée sous l’occupation allemande, qui a découvert Jésus-Christ et qui est devenue un témoin extraordinaire, est venue témoigner de ce qu’elle vivait, de sa foi, à l’École de la Foi, lors de mon premier séjour. Le père Loew la connaissait et l’a fait venir. C’est, quand j’ai abordé mon sacerdoce, quand j’ai commencé ma pastorale, que j’ai été interpellé par la phrase : «Ce que vous faites au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous le faites». C’est là que le Seigneur nous attend. Si l’on accepte cela, Il vient tout de suite vers nous.

Alors, parce que j’allais dans les villages, la première chose, était de rencontrer les malades, les personnes qui étaient en difficulté… 

C’est ainsi que j’ai découvert des personnes nécessiteuses et quand j’en ai parlé à la communauté, comme on se réunissait régulièrement avec les sœurs, elles m’ont dit «Ah, mais la sœur Marie-Ange s’occupe des enfants livrés à eux-mêmes, est-ce que vous ne pourriez pas…» Et c’est ainsi que nous avons commencé, sans le vouloir, le Centre pour Handicapés.

Tout a démarré le 1er Mai 1979, avec cinq enfants, après une petite formation auprès des frères Jaccard.

Ce qui est merveilleux, c’est que quand le Seigneur veut vraiment quelque chose et qu’il nous confie une tâche, il nous accorde ce qui est nécessaire pour l’accomplir. Il a mis des personnes  sur ma route… J’étais totalement incompétent dans ce domaine, mais des gens sont venus vers moi, en particulier ceux de l’hôpital français avec un chirurgien, homme de grande foi, c’était un évangéliste. Nous avons beaucoup collaboré et ce sont eux qui nous ont aidé à découvrir un peu les actes principaux à poser pour des enfants handicapés. Des frères se sont proposés et nous avons pu accueillir, pour nous aider, des personnes compétentes.

J’ai fait venir des kinésithérapeutes de France par divers organismes. Nous avons bénéficié de l’aide de spécialistes extérieurs puis, petit à petit, j’ai envoyé, en 1989, quatre collègues se former à Dakar, pour devenir kinés et on a grandi ainsi.

Maintenant, nous disposons d’un centre important, unique pour le Tchad, la Centre-Afrique et le Cameroun.

Parce que nous recevons, nous hébergeons, nous avons 70 lits d’hospitalisation et tout ce qui est nécessaire dans les domaines de la kinésithérapie, de l’appareillage, en mission chirurgicale (trois à quatre missions par an, la dernière a eu lieu en février) en orthopédie. Une soixantaine d’opérés, la prochaine intervention a lieu fin Septembre/début Octobre pour la plastie et puis fin novembre/début décembre, ce sera pour une mission orthopédique.

Nous sommes seuls à faire cela. Il y a tout un mouvement en France qui gère le tout, qui gère les missions qui ont été créées par les chirurgiens eux-mêmes. Cela se renouvelle, c’est encore assez dynamique et c’est ce qui nous permet d’avoir une action assez exceptionnelle et très efficace pour les personnes handicapées.

Sabrina : pour l’association qui a été fondée par les médecins eux-mêmes… Est-ce qu’il s’agit de médecins chrétiens ou de médecins humanistes ?

Père Michel : Il y a de tout. Il y a deux Tchadiens, dont un qui travaille à Chartres et qui revient volontiers au Tchad pour voir sa famille, mais aussi comme chirurgien orthopédiste et Zakaria, qui est dans le Nord de Paris, chef de service. Ces deux Tchadiens reviennent avec plaisir. J’en suis content, mais je regrette qu’ils ne soient pas au Tchad même. Ils apportent cependant le témoignage que les Tchadiens sont aussi valables que les blancs. Cette surestimation du blanc, qui est un peu dans les esprits des africains, même si la tendance s’estompe un peu.

Je suis content de voir des Tchadiens qui sont aussi capables que les autres et qui tiennent leur place. On a aussi des professeurs de l’hôpital Necker pour les enfants, des infirmiers, infirmières, chirurgiens… Beaucoup de personnes très compétentes.

Quand on accepte de prendre le projet que le Seigneur nous demande de servir, il nous met les personnes, les moyens à disposition. Notre incompétence démontre que c’est lui qui est à l’œuvre. Pour moi, c’est vraiment Marie et Joseph qui gèrent cela.

Sabrina : Donc vous-même et sœur Marie-Ange, sœur d’origine espagnole, avez débuté le centre Reine de la paix. Mais où est sœur Marie-Ange maintenant ?

Père Michel : J’espère qu’elle est auprès du Seigneur. Elle est morte il y a trois-quatre ans. Elle était un peu plus jeune que moi, elle avait 8 ou 10 ans de moins.
Une famille très pauvre de la Castille, je suis allé quelques fois voire sa famille. Elle a vécu ses six derniers mois très douloureusement. Elle était toute donnée aux enfants et le Seigneur nous a mis ensemble. Si elle n’avait pas été là, je pense que je n’aurais jamais réalisé ce que j’ai accompli.

Sabrina : Vous étiez complémentaires.

Père Michel : Moi j’étais organisateur et elle était la mère. Celle qui apporte toute l’attention, l’écoute aux familles… Je pense que je n’aurais jamais pris en charge des enfants si elle n’avait pas été là. Il faut cette attention, ce cœur de mère pour pouvoir le faire. C’est important.

Le Seigneur nous donne les moyens. C’est ça que je trouve merveilleux quand on répond à sa demande de le servir. Il nous donne tout ce qu’il faut. Il n’y a pas à s’inquiéter. Mais il faut travailler, bien sûr !

Sabrina : « Aide-toi et le Seigneur t’aidera » ?

Père Michel : J’en ai fait des milliers de kilomètres, en Europe, au Tchad et au Cameroun. Je connais le Cameroun par cœur. La Centre-Afrique en voiture.

Sabrina : Vous l’avez fait pour rencontrer les docteurs ou pour rencontrer vos patients ?

Père Michel : Suite aux demandes. Nous avons commencé avec cinq enfants le 1er Mai 1979 et une fois qu’on a appris ce que nous faisions, on venait à nous de tous côtés ! Les sœurs, les pères… Il y avait tellement de cas d’handicaps, que lorsqu’une chose se met en place ils savaient où s’adresser et c’est ainsi que l’ensemble a grandi. Nous avons organisé des sessions près de Moundou au début et maintenant ce sont des centres. Moundou s’est développé et est devenu le grand centre. Nous disposons d’une belle équipe de sœurs à quelques kilomètres de Moundou. L’évêque Tchadien est très porté aussi, très présent. Nous avons la chance d’avoir, depuis quelque temps, une communauté avec des kinésithérapeutes, qui est venue apporter son aide, car nous n’avions pas cette spécialité. C’est ce qui fait que cela se développe pour les missions à Moundou, les appareillages à Moundou, parce qu’il faut beaucoup de matériels, beaucoup d’équipements très onéreux. Il faut investir beaucoup.

Maintenant que je ne m’en occupe plus, j’essaye de transmettre mon expérience aux frères Tchadiens.

Les gens viennent. Je souhaiterais qu’un appareilleur puisse y aller de temps en temps pour éviter les déplacements des personnes compétentes. C’est quand même très exigeant pour les gens de venir ainsi… !

Je suis content de voir des Tchadiens qui sont aussi capables que les autres et qui tiennent leur place. On a aussi des professeurs de l’hôpital Necker pour les enfants, des infirmiers, infirmières, chirurgiens… Beaucoup de personnes très compétentes.

Quand on accepte de prendre le projet que le Seigneur nous demande de servir, il nous met les personnes, les moyens à disposition. Notre incompétence démontre que c’est lui qui est à l’œuvre. Pour moi, c’est vraiment Marie et Joseph qui gèrent cela.

Sabrina : Donc vous-même et sœur Marie-Ange, sœur d’origine espagnole, avez débuté le centre Reine de la paix. Mais où est sœur Marie-Ange maintenant ?

Père Michel : J’espère qu’elle est auprès du Seigneur. Elle est morte il y a trois-quatre ans. Elle était un peu plus jeune que moi, elle avait 8 ou 10 ans de moins.
Une famille très pauvre de la Castille, je suis allé quelques fois voire sa famille. Elle a vécu ses six derniers mois très douloureusement. Elle était toute donnée aux enfants et le Seigneur nous a mis ensemble. Si elle n’avait pas été là, je pense que je n’aurais jamais réalisé ce que j’ai accompli.

Sabrina : Vous étiez complémentaires.

Père Michel : Moi j’étais organisateur et elle était la mère. Celle qui apporte toute l’attention, l’écoute aux familles… Je pense que je n’aurais jamais pris en charge des enfants si elle n’avait pas été là. Il faut cette attention, ce cœur de mère pour pouvoir le faire. C’est important.

Le Seigneur nous donne les moyens. C’est ça que je trouve merveilleux quand on répond à sa demande de le servir. Il nous donne tout ce qu’il faut. Il n’y a pas à s’inquiéter. Mais il faut travailler, bien sûr!

Sabrina : «Aide-toi et le Seigneur t’aidera»?

Père Michel : J’en ai fait des milliers de kilomètres, en Europe, au Tchad et au Cameroun. Je connais le Cameroun par cœur. La Centre-Afrique en voiture.

Sabrina : Vous l’avez fait pour rencontrer les docteurs ou pour rencontrer vos patients?

Père Michel : Suite aux demandes. Nous avons commencé avec cinq enfants le 1er Mai 1979 et une fois qu’on a appris ce que nous faisions, on venait à nous de tous côtés! Les sœurs, les pères… Il y avait tellement de cas d’handicaps, que lorsqu’une chose se met en place ils savaient où s’adresser et c’est ainsi que l’ensemble a grandi. Nous avons organisé des sessions près de Moundou au début et maintenant ce sont des centres. Moundou s’est développé et est devenu le grand centre. Nous disposons d’une belle équipe de sœurs à quelques kilomètres de Moundou. L’évêque Tchadien est très porté aussi, très présent. Nous avons la chance d’avoir, depuis quelque temps, une communauté avec des kinésithérapeutes, qui est venue apporter son aide, car nous n’avions pas cette spécialité. C’est ce qui fait que cela se développe pour les missions à Moundou, les appareillages à Moundou, parce qu’il faut beaucoup de matériels, beaucoup d’équipements très onéreux. Il faut investir beaucoup.

Maintenant que je ne m’en occupe plus, j’essaye de transmettre mon expérience aux frères Tchadiens.

Les gens viennent. Je souhaiterais qu’un appareilleur puisse y aller de temps en temps pour éviter les déplacements des personnes compétentes. C’est quand même très exigeant pour les gens de venir ainsi…!

Sabrina : Comment s’est produite votre rencontre avec Medjugorje? Quand est-ce que vous en avez entendu parler pour la première fois?

Père Michel : Nous avons eu des jeunes, dont Carine Claessens qui est venue pour s’occuper d’enfants pendant deux ans.
Elle est rentrée chez elle en Suisse et quand j’étais de passage en Suisse, une année, j’ai pris contact avec ses parents. Elle était là aussi. C’est là qu’ils m’ont parlé de Medjugorje. J’ai dit qu’un jour je souhaiterais y aller, que cela m’intéressait. C’était au mois de Juin. Ils m’ont dit «Tu viens au mois d’Octobre, on a besoin d’un prêtre».

Je suis retourné au Tchad, puis je suis reparti, mes supérieurs me l’ont accordé et nous sommes partis en car depuis Lausanne. Le trajet passait par Venise… C’était pas mal ! Avec une animation ! Ce qui est intéressant en car, c’est que pendant le voyage, Christiane et Luc, donc les parents de Carine, ont fait une animation pour nous préparer à vivre ce pèlerinage et c’est ainsi que ça a démarré.

Je les ai accompagnés trois fois, parce qu’ils avaient besoin d’un prêtre et après j’ai fait le pèlerinage, en fait une retraite pour les prêtres uniquement. Je ne sais plus en quelle année…

Je ne m’en rappelle plus.

Ce chapelet (le père Michel montre son chapelet), c’est Marie qui me l’a donné à ce moment-là. Et il est toujours là ! Il est solide hein ! Il ne me lâche pas. Mais c’est pour dire, j’ai vécu des choses très fortes. Alors c’est normal que, lorsque j’ai fondé le centre pour handicapés, Marie était là.

Sabrina : Qu’avez aimé à Medjugorje Père Michel?

Père Michel : Les cailloux. Les cailloux du Krizevac! Je ne sais pas, c’est difficile à dire… Si je compare avec Lourdes, par exemple, que je connais depuis ma jeunesse, tout est goudronné, tout est plat, facile d’accès… A Medjugorje, pour aller voir Marie sur la colline des apparitions, il faut avoir envie d’y aller. Le Krizevac c’est pareil. Il faut vraiment faire un effort. J’ai admiré, quand je montais le Krizevac péniblement avec mes béquilles, quatre jeunes qui portaient un prêtre dans un fauteuil pour monter le Krizevac. Faut le faire ! Il y a ces beaux exemples de foi.

Je pense qu’on n’y va pas pour le plaisir. On y va vraiment par amour ou par recherche de Marie, par recherche de Dieu. Les gens découvrent le Seigneur dans ces pèlerinages parfois en arrivant sans savoir ce qu’ils vont y faire là! Ils le découvrent, je pense. On le découvre tous, plus au moins. Je pense que ce qui est important, c’est cet effort qu’il faut fournir. Cette volonté qu’il faut montrer. Ce n’est pas du tourisme, à aucun moment. C’est vraiment une démarche de foi. Je pense que ce qui est important maintenant, c’est cette messe communautaire tous les soirs à l’église tenue par les Franciscains, église qui est devenue immense! A la retraite des prêtres c’était très fort aussi. Nous étions tellement nombreux…

Cela me fait plaisir de voir que maintenant Rome a autorisé les pèlerinages. Il y a une nécessaire démarche prudente de Rome, pour l’authenticité, je pense.

Sabrina : Pour vous, la contribution des laïcs est-elle importante dans l’Église?

Père Michel : C’est important, bien sûr ! Les prêtres sont là pour les sacrements, donner aux membres de l’Église cette Vie de Dieu! C’est la mission qui nous a été confiée dans les sacrements! Il y a la vie consacrée, qui est importante aussi.

Parfois je suis un petit peu déçu quand on ne parle que de la vie consacrée et pas du mariage par exemple. Le mariage, c’est quand même une consécration aussi. Un couple, il faut qu’il se donne! S’il ne fait que prendre, il ne tient pas… C’est un don total, c’est la même chose. Quand on est chrétien, on le fait avec cette présence de Jésus qui unit le couple comme Jésus nous rassemble entre frères. Une communauté de frères est rassemblée au nom de Jésus. Et ça c’est très important, je pense. La présence de Jésus parmi nous.

Sabrina : Est-ce que vous avez pu parler de Medjugorje au Tchad et dans les autres pays africains où vous avez eu l’occasion d’aller?

Père Michel : Oui, bien sûr! J’ai plusieurs de mes frères qui y sont allés et on en parle volontiers.

Sabrina : Racontez-moi l’histoire de la statue que vous avez ramenée de Medjugorje et installée au cœur de votre centre.

Père Michel : C’est peut-être à mon deuxième pèlerinage, je voulais ramener une statue de Marie, Notre Dame de la Paix. Il était facile de la transporter, étant donné qu’on allait en car jusqu’en Suisse. Puis elle est arrivée par container et je m’y suis pris de la même manière pour la statue de saint Joseph au pèlerinage suivant.

Sabrina : Vous avez acheté la statue de saint Joseph également à Medjugorje?

Père Michel : Au même endroit. Ils sont inséparables l’un de l’autre.

Dans le centre j’ai donc Marie Reine de la Paix qu’on ne peut pas ne pas voir et ce qui me fait plaisir, c’est que les musulmans se tournent vers l’Est pour prier et ils sont obligés de se tourner vers Marie. Ils se prosternent devant Marie, mais ils aiment Marie. Cela me fait plaisir à chaque fois que je le vois! J’ai dû agrandir, acheter de nouveaux terrains, et sur les nouveaux terrains j’ai mis la statue de saint Joseph là où il y a des maisons d’hébergement pour les chirurgiens et les bureaux, que j’ai appelés la Maison du Charpentier. Nous avons Marie, Joseph et les enfants sont là, autour. Ils veillent sur eux.

Sabrina : Quand je vous ai parlé pour la première fois du mouvement Maranatha-Conversion que nous avons cofondé avec Monseigneur Léonard, puis quand je vous ai parlé de cette mise en place des Maranathons à travers le monde, du soutien spirituel aux intentions de prières du Pape; Malgré votre fatigue, votre «pas beaucoup de temps» et votre santé un peu fragile, tout de suite j’ai senti ce désir du cœur de faire partie de ce mouvement.

Père Michel : Oui, parce que ça me paraît important. C’est une très belle démarche. J’ai pu répondre «oui» parce que je ne suis pas tout seul. Il y a Jeanne, une femme remarquable qui s’est occupée de toutes les détresses que j’ai pu remettre entre ses mains. Elle est la maman de beaucoup de jeunes handicapés et en difficulté. Elle cultive aussi cette fameuse plante, l’artemisia (plante réputée avoir des vertus contre le paludisme, grand fléau en Afrique!)

Il y a Marin aussi. Un des premiers du premier groupe à avoir été opéré, qui est maintenant maître tailleur. Il dirige avec sa femme un atelier de couture et assure aussi des animations auprès du centre chrétien… On a un petit groupe comme sur lequel je savais que je pouvais m’appuyer. Tout de suite, ils étaient d’accord et je pense qu’ils seront fidèles.

Le problème avec l’échange artistique du 4 du mois, c’est un peu plus difficile pour moi… Nous n’avons pas de moyens… Mais le 5 et le 6 du mois, pour la prière des Maranathons ils se réunissent. Quand on ne peut pas venir me chercher en voiture, car je ne peux plus conduire la nuit, je suis en union de prière avec eux.

Sabrina : Aujourd’hui vous avez 88 ans. Vous avez eu une vie riche de rencontres, de joies, de peine aussi, d’avoir perdu des gens que vous aimiez…

Père Michel : De peur aussi… De grandes peurs… Quand nous avons été arrêtés pour avoir soi-disant caché des armes dans la grange! Ou quand nous partions sur la route avec sœur Marie-Ange et que nous tombions dans une embuscade ; de grandes aires où l’on voit débarquer six types armés… On n’est pas très fier, dans ces cas. Ce n’était pas pour nous.

C’était pour le camion qui arrivait. Nous avons quitté la voiture et sommes partis à pied, 17 km, pour arriver chez nous. Mais une fois rentrés dans les villages, les gens étaient d’une gentillesse… Nous avons vécu des grandes peurs mais alors on partage ces souffrances, ces peurs avec le peuple Tchadien. C’est ce qui fait mon réconfort. Il y en a qui sont morts, comme la fois où j’ai été accusé d’avoir pris des armes à un moment donné. J’ai été libéré parce que mon passeport prouvait que j’étais à Paris à cette époque-là, mais des Tchadiens ont été assassinés en huit jours pour des accusations aussi peu vraies que la mienne… Le peuple Tchadien a beaucoup souffert et ce n’est pas encore terminé, malheureusement. Ma joie, ma vocation c’est de partager la vie du peuple. Partager ce que vivent les gens.

Sabrina : Est-ce qu’aujourd’hui quand vous êtes au Tchad, vous percevez un sentiment antichrétien ou pas particulièrement? Avez-vous l’impression que l’Église au Tchad est persécutée?

Père Michel : Pas actuellement, non. Il y a de bons dialogues entre les différents responsables catholiques, protestants et musulmans. Après tout ce qui s’est passé au Burkina-Faso, au Mali… Il y a quand même des zones au Tchad où il ne faut pas aller! Il faut être prudent! Mais nous avons des rencontres et dialogues très amicaux. Espérons que cela dure! C’est pourquoi il faut mettre cela sous la protection de Marie.

Sabrina : Aujourd’hui, quelle est la situation des vocations chez les capucins en France, chez les Capucins en Afrique – au Tchad par exemple?

Père Michel : Chez mes capucins et même les religieux en général en France, on a très peu de vocations. On a des vocations qui ont déjà l’expérience de vie… Les jeunes sont rares. Après il y a d’autres communautés qui existent, de nouvelles : les Béatitudes, le Chemin Neuf… Il peut y avoir aussi un relais. On n’est pas éternel! L’ordre insiste à ce qu’on ait des frères non prêtres. C’est un peu notre caractéristique. Le nouveau général nous l’a rappelé il n’y a pas longtemps. Il ne faut pas forcément aller vers le sacerdoce. On va vers la vie consacrée, de vie de Saint François : pauvres parmi les pauvres. Au Tchad, il n’y a pas énormément de vocations. Le développement de la technologie, internet, Smartphone et tout cela, c’est une catastrophe.

On a besoin de tout savoir, tout connaître, mais on oublie Dieu… C’est un peu l’inconvénient. Même parmi mes frères, parfois je leur dis que s’ils pouvaient couper leur Smartphone ce serait bien. Ils ne l’apportent pas à la chapelle grâce à Dieu mais ils l’apportent au réfectoire, pendant qu’on mange, quand on est ensemble… Il y a un appel, il faut qu’ils répondent tout de suite…

C’est une mentalité et il faut aider à gérer cela ! L’utiliser comme un moyen et non pas comme un but. On a les mêmes problèmes en Afrique qu’en France. On est tellement pris par ce développement qui est merveilleux, par ailleurs, les relations par internet, c’est merveilleux!

Cela rend d’énormes services! Mais en même temps, il faut apprendre à se discipliner, à en faire un outil de travail mais pas un esclavage.

Sabrina : Père Michel, y a-t-il un dernier sujet que vous souhaiteriez traiter?

Père Michel : Je souhaite que vous veniez découvrir l’Afrique et son peuple surprenant! Aussi, j’aime beaucoup le Pape François, qui a toujours été porté vers les plus pauvres. Qui sait embrasser les pieds des diplomates et des prisonniers. Il ne manque pas une occasion pour aller vers les plus pauvres. C’est cela qui est beau. Bien évidemment on le critique. C’est normal. Quand on est critiqué, je pense que c’est une preuve de vérité. Qu’on est dans la vérité.

Sabrina : Comment avez-vous vécu, vous qui êtes un homme de don, tous ces scandales qui marquent l’Église aujourd’hui?

Père Michel : Les scandales. Oui mais il y a aussi le reste! Voilà le problème: les scandales… cela, on le met dans les médias. Mais tout ce qui est beau? Combien y-a-t-il de prêtres sujets de scandales, par rapport au nombre de prêtres dans le monde? Pour 100 prêtres par exemple, on oublie les milliers qui vivent autrement. C’est cela qui est mauvais. Le danger de la presse, des journalistes qui sont des gens indispensables ayant de grosses responsabilités, mais le danger, c’est que pour vendre leur journal, pour se faire connaître, ils vont mettre en valeur ces choses qui scandalisent et dont tout le monde se délecte. On court vers le mal plus vite que vers le bien.

Sabrina : Vous avez l’impression qu’un prêtre qui fait n’importe quoi va attirer plus l’attention des médias qu’un Père Michel Guimbaud et une sœur Marie-Ange, qui fondent un centre pour handicapés au cœur de l’Afrique?

Père Michel : Il y en a tellement d’autres parmi nous. Tellement, tellement…

(article paru dans le numéro de Juillet 2019 du journal officiel de Medjugorje Glasnik Mira)

Article Interview Père Michel Guimbaud en PDF